La Prudence : Une vertu pour agir l’accompagnement à domicile d’une personne psychotique

BERGES Laurent

Université Paris-Est Marne-la-Vallée

En partenariat avec l’Institut de formation des cadres de santé – EPS de Ville-Evrard

Diplôme universitaire Ethique soignante et hospitalière

Responsable pédagogique : Elsa Godart

Année universitaire 2013-2014

Mis en ligne le vendredi 16 mai 2014 à 19h25, par guihard

INTRODUCTION

Le retour à domicile après une hospitalisation à temps plein constitue une suite logique et supposément attendue par la personne concernée. Un changement de lieu (depuis l’hôpital, lieu public d’accueil et de soins, vers le foyer, lieu privé) se conjugue alors avec un changement de statut. Ainsi, de patient dépendant de l’institution soignante et des règles qui la régissent et s’imposent à lui – jusqu’à une interdiction d’aller et venir librement dans le contexte de troubles psychiques –, la personne se voit rendue à son droit de vivre et d’agir en liberté dans son environnement propre : « Je suis l’espace où je suis. »1 Mais ce temps du retour à soi, chez soi, peut représenter une difficulté pour qui reste essentiellement perturbé en son identité – en particulier dans la psychose, tant cette dernière fait effraction dans le champ de la raison et altère les capacités à évoluer dans une réalité partagée.

Madame J. souffre d’une psychose dissociative chronique. Née dans un environnement familial chaotique et peu étayant, elle est aujourd’hui une femme de 46ans, touchante, douloureuse, farouchement indépendante et volontaire, mais débordée par la maladie et les difficultés afférentes. Sa situation affective, sociale et économique est désastreuse : sans relations ni soutien familial, sans ressources depuis plusieurs mois, sous la menace d’une expulsion pour non paiement des loyers et plaintes du voisinage, sans ancrage ni activité dans le tissu social. Hospitalisée quatre mois plus tôt en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (SPDT) pour recrudescence des troubles, elle s’apprête à rentrer chez elle. L’atténuation progressive des signes cliniques les plus productifs et son acceptation négociée mais effective des thérapeutiques proposées ont en effet permis la levée de la mesure de contrainte et cette fin d’hospitalisation. Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises en ergothérapie, elle en a investi l’atelier, y montrant une activité aussi enthousiaste que désordonnée. Une relation thérapeutique, très difficile à initier, s’est doucement forgée entre nous.

Alors que se précise la date de sa sortie, elle se montre toujours plus ambivalente. Son désir de rentrer chez elle, sans cesse réclamé tout au long de l’hospitalisation, va de pair avec un sentiment d’abandon et l’angoisse d’une liberté d’action retrouvée dont elle ne parvient pas à s’emparer. Elle nous dit ainsi son incapacité face à « tout ce qu’il y a à faire », « honteuse » du « grand désordre » qui règne chez elle.

C’est là, en réponse à ce que nous avons compris comme un désarroi pouvant hypothéquer un retour durable, que nous lui avons proposé de l’accompagner à domicile – ce qu’elle a accepté –, considérant que notre décision pouvait ponctuer la démarche thérapeutique que nous avions envisagée pour elle : la reconnaître en sa singularité, l’aider à « aller mieux », lui permettre enfin de réinvestir son quotidien. Mais cette sollicitude face à la vulnérabilité d’autrui, ici celle de Madame J., doit être interrogée lorsqu’elle se donne pour moyen une action thérapeutique hors les murs de l’institution. Aller chez l’autre, c’est faire irruption dans l’intimité, et ce risque d’ingérence questionne justement le soignant en son intention et sa conduite. C’est le discernement en son action qu’il lui faut estimer et c’est à la lecture de la notion de prudence (phronèsis) que nous discuterons de l’éthique de notre démarche, formulant comme suit notre problématique :

La prudence dans l’action pose-t-elle des limites dans l’accompagnement à domicile d’une personne souffrant de troubles psychotiques ?

En premier lieu, nous évoquerons le contexte et les enjeux de l’accompagnement à domicile et dessinerons les contours d’une démarche thérapeutique fondée sur le respect d’autrui : la prudence enjoint-elle à ne pas contraindre la personne en ses choix ? En second lieu, nous aborderons la qualité même et les limites possibles de notre action : La prudence exclut-elle toute audace dans l’action ? Enfin, nous réfléchirons notre engagement et la délibération à l’origine de notre action : Agir en responsabilité, est-ce faire appel à la prudence avant d’agir ?

SPIP | À propos de ce site | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0

1996 - 2024